Madonna en concert : et vous, ça vous dérange une sexagénaire qui mime une fellation sur scène ?
BILLET. Notre journaliste ne s’attendait à rien en allant au concert de la popstar de 65 ans. Elle a été bluffée par sa performance et sa liberté.
J’ai la gêne empathique. Alors, quand on m’a invitée au concert de Madonna à Paris, j’y suis allée avec autant de curiosité malsaine que d’appréhension. A lire les critiques de la presse et les commentaires sur les réseaux sociaux, je m’attendais à voir débarquer à l’Accor Arena un robot botoxé qui grince à chaque pas de danse et crachote ses fausses notes sous le regard désolé de fans qui n’osent pas lui crier qu’il faut savoir quitter la scène. Je me suis toujours sentie extrêmement mal à l’aise par procuration lorsqu’une prise de parole en public tourne à la gênante bafouille. Je me recroqueville sur mon siège, j’ai chaud derrière la nuque et je prie pour que cela cesse. Il y a même de fortes chances pour que je vive ce moment encore plus mal que celui qui tient le micro entre ses mains. Entre mon trac par procuration et son heure habituelle de retard, Madonna et moi, ça démarrait mal.
J’ai dit, très fort, que c’était « odieux » de prendre son temps dans sa suite de palace pendant que des spectateurs – eux aussi désormais d’un certain âge – font du sur place dans leurs baskets trempées, trop inquiets de perdre leur poste d’observation pour aller se chercher une bière. Je me suis agacée de constater, qu’en plus, elle ne nous offrait pas de première partie. A la place, son producteur historique a fait office de DJ en enchaînant des tubes de la Madone vaguement remixés. Mais voilà qu’elle apparaît, enfin, sur scène. Les fans, pas rancuniers, sont au bord de l’apoplexie. Et tout d’un coup, je comprends. Enfin. L’aura, le charisme, le magnétisme de cette femme. Mais aussi sa rigueur et son athlétisme de sportive de haut niveau. Madonna n’est pas gênante, elle est bluffante. Sur scène, je ne vois absolument pas une personne à l’hiver de sa vie dans le déni, mais une show woman qui maîtrise l’art du spectacle et de la provocation nécessaire depuis quatre décennies sans jamais s’essouffler.
A l’âge de la retraite, elle s’embarque dans une tournée mondiale d’un an, tandis que les trentenaires dont je fais partie se plaignent de ressentir après une mauvaise nuit une fatigue qu’ils ne connaissaient pas. Son visage n’est pas effrayant, ses mouvements sont fluides, son énergie est impressionnante. Mick Jagger ne fait pas différemment. Mais le Rolling Stones est un homme, c’est évidemment là toute la différence. « Lâchez-nous les rides, et si on n’en a plus, lâchez-nous la seringue de Botox : our faces, our choices », scande la journaliste féministe Fiona Schmidt, à la lecture d’un billet d’humeur jugé sexiste publié par « Libération ». Ce botox qui ne regarde qu’elle mais nous tend à tous un miroir est en réalité une performance, à la manière d’Orlan. Qu’elles soient dans les fesses ou dans le front, ces prothèses disent la même chose : je fais ce que je veux de ce corps de femme qui, dans notre société patriarcale, doit d’abord satisfaire l’imaginaire de tous les autres avant d’appartenir à celle qui l’habite.